(Arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 14 décembre 2021, Pôle 5 – Chambre 1, N° RG 20/12598).
La Cour d’appel de Paris a rendu un intéressant arrêt confirmatif en matière d’atteinte à une marque de renommée, dans une affaire dans laquelle nous avons eu le plaisir de représenter la société Automobiles Citroën contre les sociétés Polestar Performance et Polestar Holding (filiales de Volvo Car Group et de Zhejiang Geely Holding).
Marques antérieures de Citroën
Marques UE de Polestar Holding AB
En première instance, la société Automobiles Citroën contestait l’usage par les sociétés Polestar des marques et pour désigner des véhicules automobiles, sur le fondement de la contrefaçon de marque, de l’atteinte à ses marques de renommée et subsidiairement au titre de la concurrence parasitaire.
Le Tribunal Judiciaire de Paris a retenu l’atteinte aux marques de renommées de Citroën et jugé qu’elles jouissaient d’une renommée « exceptionnelle ».
Le Tribunal juge que les marques litigieuses de Polestar évoquent celles de Citroën auprès du public et que « les sociétés POLESTAR tirent tout à la fois indûment profit de la renommée de la marque CITROËN, mais également de sa distinctivité et en particulier de l’image rassurante produite par une marque tout à la fois dynamique et centenaire et ce, pour vendre des produits identiques à ceux commercialisés sous la marque renommée » (Jugement du TJ du 4 juin 2020 N° RG 19/08639).
Le Tribunal avait, outre la condamnation des sociétés Polestar à des dommages et intérêts, prononcé une mesure d’interdiction sous astreinte des signes incriminés sur l’ensemble du territoire national.
La Cour d’appel de Paris a récemment confirmé le jugement de première instance en toutes ses dispositions et a retenu que:
Sur la renommée de la marque au double chevron de Citroën
« En l’espèce, il est établi que depuis 1919, c’est à dire plus de 100 ans, toutes les voitures de la société Citroën portent un signe à double chevron…Il n’est pas davantage contesté que la société Citroën consacre d’importants budgets de publicité de ses marques (plus de 300 000 000 euros par an en moyenne) et se place en 3ème position des ventes de véhicules en France, sur lesquels sont apposés les marques ci-dessus évoquées, de sorte que l’intensité de l’usage des marques est établie, et qu’ainsi que l’ont retenu les premiers juges la renommée des marques en cause, qui n’est au demeurant pas contestée par les sociétés Polestar lesquelles se bornent à préciser qu’elle est circonscrite à deux chevrons superposés l’un au-dessus de l’autre et orientés dans le même sens, est exceptionnellement élevée auprès du public visé des consommateurs français, particuliers ou professionnels, de véhicules ».
Sur la comparaison des produits / des signes
Les produits visés sont identiques et les signes en cause considérés comme présentant une similitude plutôt faible sur le plan visuel et conceptuel, la comparaison phonétique étant impossible concernant des signes figuratifs.
Sur le lien établi par le public entre les signes en cause
« Ainsi qu’il a été rappelé, dans l’hypothèse où les signes en conflit présentent une certaine similitude, même faible, il y a lieu de procéder à une appréciation globale afin de déterminer si nonobstant le faible degré de similitude entre les signes en cause, il existe en raison de la présence d’autres facteurs pertinents tels que l’importante renommée de la marque antérieure, sa forte distinctivité ou l’identité des produits en cause, un lien entre ces signes dans l’esprit du public concerné.
En l’espèce, il résulte du tableau reproduisant les logos des 31 constructeurs automobiles dont les véhicules sont les plus vendus en France, qu’aucun n’utilise la représentation de deux formes géométriques angulaires de type chevrons l’un au dessous de l’autre, et notamment pas ceux de Renault et de Mercedes allégués par les sociétés Polestar, le premier étant un losange, le second une étoile dans un rond. En outre, les formes de deux chevrons superposés sont parfaitement arbitraires pour des voitures, et la distinctivité intrinsèque de ce signe a été en outre fortement accrue par l’usage intensif qui en a été fait, de sorte que le caractère distinctif des marques antérieures est élevé. Il a en outre été démontré que la renommée de ces marques est également exceptionnellement élevée, et que les produits en cause sont identiques, à savoir des véhicules automobiles.
Il résulte en conséquence de l’appréciation globale des signes en cause tenant compte de l’exceptionnelle renommée des deux marques n° 3422762 et n°3841054 auprès du public, de leur fort caractère distinctif acquis par un usage intensif et de l’identité des produits en cause, que nonobstant la similitude plutôt faible des signes en présence, il existe un risque que les signes incriminés évoquent auprès du public visé les marques invoquées dites au double chevrons de la société Citroën.
Ce risque, distinct du risque de confusion dont la démonstration n’est pas requise en matière d’atteinte à une marque de renommée, est d’ailleurs avéré ainsi que l’ont relevé à juste titre les premiers juges par la production des pièces versées au débat de commentaires d’internautes constatés selon procès-verbal d’huissier du 14 juin 2019 et notamment ,“l’esquisse de l’étoile du Nord, qui ressemble par un hasard malheureux aux anciens chevrons Citroën qu’un plaisantin aurait séparés et retournés” (Challenges) ; “Le logo Polestar rappelle… Les chevrons de Citroën” (L’argus) ; “ils ont recyclés les chevrons de Citroën !” (forum du site Internet Autoplus) ; “Marrant le logo. On dirait Citroën qui a explosé ses chevrons” (forum du site Internet Automobile Propre) ; “j’aime bien les chevrons Citroën du logo Polestar” (forum du site Internet Le Blog Auto) ; “On pourrait presque y voir les chevrons éclatés de Citroën”( site Internet Logonews) ; “Espérons qu’il soit plus inspiré que pour le design du logo de Polestar, ressemblant comme deux gouttes d’eau aux chevrons de Citroën !” (Site Buy less Choose well); “Les cons ! (Sic!) ils ont recyclé le chevron de Citroën” ( forum du site Internet Autoplus).
Le risque de lien entre les signes incriminés et les marques en cause est ainsi avéré ».
Sur l’atteinte :
« Compte tenu de la renommée exceptionnelle des marques Citroën à double chevrons en cause et de leur forte distinctivité acquise par l’usage intensif soutenu par des investissements publicitaires extrêmement importants, et du fait que les signes en conflit sont utilisés pour désigner les mêmes produits à savoir les véhicules automobile, l’usage par les sociétés Polestar des signes incriminés entraîne une atteinte au caractère distinctif par dilution et brouillage desdites marques exploitées dans le secteur automobile dont le nombre de constructeurs est relativement restreint.
L’atteinte au caractère distinctif des marques invoquées, suffisante à elle seule pour constituer une atteinte à la marque de renommée au sens de l’article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle, est ainsi caractérisée’’.
La décision d’appel n’est pas définitive et pourrait faire l’objet d’un pourvoi en cassation.
Les actions en nullité initiées par Citroën contre les marques européennes de Polestar Holding sont actuellement pendantes devant le Tribunal de l’Union Européenne.
Lire la décision :